mardi 10 décembre 2013

Méthode

Elle avait fait relire l'un de ses premiers textes à Antoine. Elle y plantait le décor de sa première rencontre avec Daniel, alors qu'il était en reportage outre-Manche.

"En 1989, le Nord-Est de l’Angleterre était dur surtout en matière de dope.

Le chômage, les bus vides, la pollution et les mines ravagées par l'alcool me saisirent à la gorge. Les soirées de Durham se résumaient à des bagarres de rue et à des filles dévêtues qui vendaient leurs charmes. 

Ce soir-là un banquier trentenaire m'avait courtisée, parce que le matin même j'avais ouvert un compte dans son bureau de change. Il avait cru bon de m'embrasser et de mettre sa main dans ma culotte, dès mon arrivée, dans le seul pub ouvert de la rue principale. Quelques pintes plus tard, il me ramena à mon collège où il pensait pouvoir finir la nuit avec moi mais il se fit refouler par le concierge  :"you can't".

Je le plantais là, happée par ma tribu française qui avait en tête, que tous les excès étaient pour maintenant et nos jeunes années. Notre ravitailleur en substances était là lui aussi. Cécile, ce garçon au regard si doux, ne connaissait que les plaisirs distillés par les veines. Il me roula un patin comme il en avait le don : langue à plat, débordante de salive acide. 

Nous étions déjà tous raides de l’avoir embrassé ainsi à tour de rôle. Je ne savais plus à qui j’allais m’offrir. Je n’identifiais plus les contours de mon corps de ceux des autres convives, qui dansaient sur du Cure. J’étais devenue soluble dans le monde. On m’aurait demandé qui j’étais, je crois que j’aurais répondu le fa dièse.

Mon trip m’amena pour vingt quatre heures je ne sais où. A mon retour, Phil Collins me chuchotait «another day in paradise» dans le casque de mon walkman alors que Daniel me regardait au travers de son téléobjectif."

Antoine avait lu, sans commenter le fond, ne s'attachant qu'à la forme. 

- Tu devrais approfondir cette veine-là; entre fiction et souvenirs personnels; une manière d'autofiction où tu laisses libre cours à ton imagination. Lâche prise; fiche-toi du réel tout en le surveillant d'un oeil; ne retiens de lui que l'essentiel émotif. Tu as la plume faite pour ça, Anne.

Alors elle l'avait écouté. Elle avait jeté l'encre sur le papier comme on jette l'ancre à la mer mais garantie de toujours repartir ensuite, se laissant ballotée par les mots. 

Plus tard, il avait insisté à nouveau.

- N'écris jamais sous la contrainte. Laisse çà aux alimentaires journalistes qui sont capables de composer un texte avec autant de mots que, sang de cordon, sonate de Corelli, magie, tectonique des plaques et poupées russes, dans la même page, parce qu'on les y oblige. Tu es libre, Anne. Terriblement libre.  

Et il s'était mis à rire, de son rire pyromane qui rallumait en elle tous les possibles.




dimanche 8 décembre 2013

Duroy de l'affiche

Alors, oui, franchement, quand un Duroy® m'arrive par courriel dans un retentissant tadaaaaaaaaaaa!!!!!!!!, forcément même si le cadeau n'est pas emballé, moi je le suis, quoi !

Je ne confonds pas photographe et phonographe, rassurez-vous, mais je connais bien la musique des objectifs.

Elle est douce à l'oreille pour ceux qui savent ouvrir les yeux.

Comme dans la chanson, mon Duroy® s'voyait déjà en haut...
et ce sera en haut de forme, grâce à vous. Alors...

Merci infiniment et Chapeau l'Artiste !

     -Le post-it® est de quelle couleur ? Je sépia
    -Mais vous ne seriez pas daltonienne par hasard ?                                                             © 2013.














vendredi 29 novembre 2013

Bagatelle 2

- Que pensez-vous que Duroy soit en train de faire en ce moment ?
Antoine ne lui avait jamais parlé de Daniel avant ce jour, où pour la première fois, Anne se rendait chez lui.
Elle avait accepté de lui faire des plans pour l’aménagement d’une mezzanine pour son appartement.
Elle se rendait sur les lieux pour prendre les cotes.
- Il doit être en train de commander tous les livres dédicacés de sa main qui sont en vente sur internet.
- Non ? Il fait ça ?
- Oui, il a ses lubies. C’en est une. Il n’aime pas savoir que des livres qu’il a signés soient « errants ». Oui, je crois que c’est l’adjectif qu’il utilise.
- Ah oui, quand même.
  
Il n’en rajouta pas plus, soucieux qu’elle ne prenne mal ce qu’il dirait sur celui avec qui elle avait passé les vingt dernières années.
Il rejoignit son siège de bureau, comme en retrait, afin qu’elle puisse prendre possession de l’espace. Mais elle le suivit.
  
Elle le regarda taper de ses index, sur son clavier d'ordinateur.
Puis elle vint se glisser entre lui et son bureau, sans qu'il s'y attende. Là, posée comme une tasse à café sucrée et chaude, on avait assurément envie de la déguster.
Elle soupira d'aise.
- J'aime quand vous pianotez à l'ancienne... ça vous laisse toujours des doigts inoccupés.
Il lui connaissait ce sens de la provocation mais pas encore cette poitrine dans ce décolleté en V, qu'elle mettait sous son nez.
- Vous voudriez peut-être que j'arrête ?
- Non, poursuivez. J'ai moi-même du travail qui m'attend.
Elle se laissa glisser jusqu’à ce que ses genoux pliés rejoignent le sol moquetté. Il repensa alors à la phrase de Bashung : « Putain ce que t’as été belle quand tu te mettais à genoux ».
La bouche d’Anne soufflait un air moite dans la direction de sa virilité qu'il avait du mal à cacher à présent.
- Je m'appelle Anne et je ne vois rien venir, que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie.

Tout en parlant, elle actionnait sa braguette avec malice.
Il étouffa un rire, trop impatient d'échanger avec elle ses désirs plutôt que ses mots d'esprit.
  
Elle le tenait à pleine bouche à présent et le savourait.
Il imaginait pouvoir demeurer ainsi des heures, noyé entre ses lèvres. Mais, elle était comme les baïnes de l’Atlantique. Il lui fallut se laisser porter par son courant pour lui échapper. Alors, dans une succession de vagues, il inonda la gorge d’Anne qui l'avait fait jouir.

Il la releva et l'assit sur lui, posant ses deux mains sur son ventre, sa tête dans son cou. Il palpitait en elle comme un coeur d'animal pris au piège qu'il aurait voulu libérer.
  
- Allons terminer vos plans dans ma chambre ?
 - Oui, tu as raison. Je suis une architecte professionnelle, je dois prendre possession de toutes tes pièces.
Elle l'avait enfin tutoyé. Il en était heureux.

dimanche 24 novembre 2013

Echange


J'avais essayé de freiner à l'approche du poids lourd mais il nous embarqua quand même, dans un froissement de tôle qui me vrilla les tympans. 

Je ne parvenais pas à voir la trajectoire que nous prenions. Les phares autour de nous m'aveuglaient. Suite au choc, notre vitesse ne cessait de croître.

Pourtant quelque chose nous arrêta. Et ce fût alors le silence, qui m'assourdit à son tour. 

L'odeur de l'herbe fraîchement coupée se mêlait à celle du métal en fusion. Je me sentis partir aux pays de mon enfance, à la campagne, dans l'atelier de mon grand-père, où la fraiseuse faisait jaillir mille étincelles. J'étais capable de rester là des heures. 

Un liquide lourd et chaud me fit très vite revenir à la réalité. Il recouvrait mes paupières et mes lèvres. Il ne pouvait pas s'agir de mon sang. Je connais son goût pour saigner fréquemment du nez. 

Aussi je compris que nous avions tous été projetés à l'avant dans l'habitacle et que nous n'étions plus vraiment trois corps mais un seul : une sorte de monstre à 3 têtes. 

J'entendis la tête à ma droite respirer fort, alors que celle à ma gauche était inerte et ensanglantée. Une nouvelle catastrophe se dressait devant moi : J'étais vivant mais le coeur de celle, pour laquelle battait le mien, s'était arrêté.

Une larme creusa un sillon brûlant sur ma joue. Je tremblais. Il y a rien de plus fort que de voir la femme qu’on aime nous quitter, sans rien pouvoir faire. C’était si épouvantable que je m’efforçais de lui tourner le dos.


Le visage de sa soeur me faisait face. Je parvins enfin à saisir son regard de mes paupières collées. Elle caressa ma joue, du plat de sa main, comme pour me remercier. Je sentis son alliance écraser ma larme avant qu'elle ne s'évanouisse. 

Je pris cela pour un signe. Je me mis à prier, à haute voix : "Donnez-moi, mon Dieu, ce qu'il vous reste. Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas mais donnez-moi aussi le courage et la force et la foi. Car vous seul donnez ce qu'on ne peut obtenir que de soi."

Et puis je fis l'impensable. Très vite. Dans la douleur mais sans aucune peur. Je retirai l’anneau de son doigt. 

Je saisis ensuite la main de ma femme et mis cette bague à son annulaire. Je l’unis, dans la mort, à un autre que moi. 

J'embrassai son front comme elle aimait, une dernière fois. Je pensais que je ne serais désormais plus jamais le même homme et ma femme plus tout à fait la même femme.

A mon réveil à l'hôpital, je crus un instant que j'avais rêvé, lorsque l'on me demanda : "Pouvez-vous nous dire le prénom de votre épouse ?"

dimanche 17 novembre 2013

Il a fini son Duroy®

Un "nègre" au pays de mes "négresses" n'a pas fait que lire Lionel Duroy pour moi, il a écrit aussi.

M. le matheux à propos de : "Le cahier de Turin"


"Le cahier de Duroy - rapport du nègre lecteur

L’objet remis entre mes mains est un format poche de 247 pages. Sa lecture m’a été difficile, moi qui suis capable de rester sept ou huit heures dans la même journée sur un suspens qui ne saurait attendre ! Ce cahier s’échappait de mes mains au bout de dix pages, parfois trente.
L’intrigue est ténue : Marc, écrivain est en panne d’idée. Il confie à son éditeur le vague projet d’écrire le roman de son amour pour sa femme actuelle : dix ans de vie commune, deux filles. La vie quotidienne, la rencontre des egos et des corps, telle est la matière. Cette matière ne vit que de regards, d’émotions et de désirs.
Marc, ou Lionel, a du style. Un style 1900, souvent, années 2000 parfois, alternant le long et le court. Pour en juger, quelques citations ne te feront pas de mal si tu les parcours.
J’ai senti le bon artisan. Ses lecteurs qui sont très majoritairement des lectrices ; il les connaît, il sait ce qu’elles attendent, et il leur livre :

« Vous savez, Curtis, c’est comme si, tendant le bras vers une vitrine de Van Cleef & Arpels, vous vous retrouviez avec une rivière de diamants au creux de la main. C’était mystérieux, miraculeux, inconcevable. Je sentais son souffle sur mes doigts. Elle respirait vite, elle avait fermé les yeux. » (p22)

Marc a des enfants, comme ses lectrices :
« Observer son visage rond et doré qu’éclairaient deux hublots de ciel bleu, à cet instant voilés d’une brume d’ennui, était une source de ravissement. » (p41)

Les enfants et les adultes mentent et inventent ; l’écrivain serait-il du même bois ?
« La réalité lui compliquait les choses, quand elle ne les éteignait pas, et cependant il envisageait rarement de s’en affranchir. Pourquoi ? Pourquoi ne se résolvait-il pas à tout inventer ? » (p60)

« Il avait besoin de s’ancrer solidement dans la vérité, voilà, comme si la vérité était un élément constitutif  de son désir d’écrire. Une fois lancé, c’était différent, et même pour ainsi dire l’inverse : plus il avançait, plus les faits établis cessaient de l’intéresser. Il ne souhaitait plus en entendre parler, il les trouvait toujours décevants, déprimants, au regard de l’ample « vérité » qu’il était en train d’élaborer tout seul. L’ « ample mensonge », corrigeaient certains de ses lecteurs mécontents à qui il arrivait de se reconnaître et de porter plainte. » (p60)
Cela m’a fait penser à certaines pages d’un blog lu récemment…

« Marc comprit pour la première fois qu’il pouvait être agréable d’être riche. La chose lui était tombée dessus par hasard, l’hiver précédent : alors que le dernier roman de Marc se vendait médiocrement, la biographie d’une inconnue, héroïne moscovite engagée contre la corruption, s’était miraculeusement installée en tête des ventes. Marc était le nègre de ce livre. » (p110)
Les négresses et nègres lecteurs peuvent-ils nourrir quelque espoir ?

« Ce qui était agréable, grisant, même, c’était de songer qu’ils avaient les moyens d’acheter tout le magasin si ça faisait plaisir à Hélène. C’était un bonheur éphémère, une satisfaction de nouveau riche parfaitement en contradiction avec ce que Marc prétendait neuf mois plus tôt, il en était conscient mais subitement il s’en foutait. Ce dont il avait envie, c’était de s’asseoir confortablement dans la boutique, comme un émir du Qatar, Colline sur ses genoux, et de regarder sa femme et ses filles s’émerveiller d’être si belles en ces multiples miroirs. » (p111)
Marc, ou Lionel, sait que ses lectrices ne tombent pas amoureuses des fauchés ! Où a-t-il vu un émir avec une petite fille sur les genoux ?

« –   Tu vas bientôt te remettre à écrire ?
  • Bientôt, oui. Sur toi, sur nous, quoi.
  • Vraiment ?
Elle avait relevé ses lunettes.
  • Je voudrais faire mentir l’histoire du cordonnier, tu sais, m’occuper de nous, pour une fois, au lieu d’emmerder les autres.
  • Chaque fois que tu as fait ça, que tu as mis des gens qu’on connaissait dans tes livres, tu t’es brouillé avec eux. J’ai souvent pensé que tu le faisais exprès, pour rompre, parce que tu n’avais plus envie de les voir ou qu’ils avaient cessé de t’intéresser. » (p124)

Passé la page 130, on entre dans le dur du projet, ça devient plus compliqué, et je me suis un peu perdu dans les recoins de l’âme et de la maison :

« De l’air qu’avait respiré Hélène il ne restait sûrement plus rien. Etait-il envisageable qu’elle eût laissé une trace ici où là ? Deux ou trois phrases sur les murs, par exemple, de son écriture impossible ? Elle faisait cela au début, dans les cabinets, en particulier, où elle s’ennuyait, elle écrivait sur la peinture, au-dessus du rouleau de papier hygiénique, telle ou telle citation idiote de Marc qui l’avait précipitée dans le désarroi. Il se souvenait d’une en particulier : « Ne me demande rien, Hélène, tout ce que je pouvais donner, je l’ai déjà donné à Agnès. » (p137)

« Mon Dieu, peut-être que sous le papier peint des toilettes de Frédérique reposait l’explication sibylline du premier étonnement d’Hélène en le découvrant dans son jardin, lui, Marc. Y penser lui embrasa le cœur. » (p137)

Y avait-il dans le contrat de Marc avec l’éditeur une clause « entre 200 et 300 pages en format poche », ou est-ce que les lectrices se retrouveront davantage dans les copines de sa femme Hélène ? 

« Marc se retrouva seul. Il aurait pu se mettre à nettoyer la table, à laver la vaisselle, mais au lieu de ça il allongea les jambes sur une autre chaise et resta là à ne rien faire. Il n’y avait qu’avec Violette qu’il ressentait cette liberté. Avec Sabine et Alicia, les deux autres amies d’Hélène, il se serait aussitôt activé pour dissiper le stress qu’elles éveillaient en lui. Elles l’intimidaient, il ne parvenait jamais à être naturel en leur présence, comme s’il avait l’intuition que sa nature les enquiquinait. Sabine, surtout. Elle apparaissait et lui se voyait immédiatement comme un type compliqué, taciturne, désespérément dénué d’humour. Pourquoi lui faisait-elle cet effet alors qu’objectivement il était l’homme le plus satisfait qu’il soit ? En fait, son enthousiasme me laisse sans voix, songea-t-il. C’était ça, oui, Sabine était outrageusement heureuse et il était quasiment impossible de lui donner la réplique, on était alors condamné à acquiescer tristement à ses débordements d’allégresse. » (p145)

« Il était impossible de ne pas la remarquer, non seulement parce qu’elle portait des chaussures de couleurs vives dépareillées  - c’est elle qui en avait lancé la mode, une rouge et une jaune par exemple - , mais surtout parce qu’elle était la seule à ne pas bouder son plaisir. Plaisir d’être mère, plaisir d’être femme, plaisir d’exister tout simplement, on ne savait pas trop, mais ce plaisir-là donnait à toute son allure une grâce particulière. Elle était excentrique et lumineuse … » (p146)
Il sait leur parler, le bougre ! Moi, j’ai pensé à Nougaro « Ce qu’il faut dire de fadaises … » (Les Don Juan) !

« Hélène avait clairement exprimé une forme d’enchantement, comme si le corps de Marc éveillait en elle une émotion particulière. Il n’en avait pas cru ses oreilles. Allongé sur elle après l’amour, il avait voulu s’en aller vite pour ne pas l’écraser de son grand corps, et elle avait eu cette phrase inimaginable : «  non, reste, tu n’es pas lourd, tu es tout fin. » Il la connaissait par cœur, la phrase, et il la redit tout bas pour le plaisir en rinçant la vaisselle. » (p151)
Là, il en fait un peu trop, n’est-ce pas ? C’est le métier ! Aux trois quarts du livre, faut qu’ça vibre, qu’ça déborde ; on pose le livre sur le chevet et on fait de beaux rêves…

« Certains matins comme celui-ci, avec ses cheveux mouillés et luisants, son front têtu, ses joues pleines, on aurait pu la prendre pour une grande adolescente. Elle continuait de lire, les paupières baissées, ne se préoccupant ni de lui ni de personne. Puis elle renifla légèrement et les yeux de Marc se posèrent sur son nez. Il se répéta qu’il n’en avait jamais vu d’aussi joli, droit, et cependant féminin, si justement proportionné, les ailes déliées pour traduire tous les frémissements du plaisir, toutes les sensations du corps… » (p162)

Etre amoureux de sa femme après 10 ans, c’est possible, c’est merveilleux, dit Marc à ses lectrices qui rêvent d’un tel homme, mais cet homme n’est pas un homme normal, c’est un écrivain ! Rien de mieux qu’un spot publicitaire pour relancer les ventes du roman précédent, quitte à décevoir :

« Eprouver du désir pour un personnage d’un de ses livres lui était arrivé à plusieurs reprise déjà – ainsi avait-il été très amoureux d’une certaine Cécile dans son dernier roman, au point de faire avec elle des rêves assez agréables –  et chaque fois l’inassouvissement avait aiguisé ses sens, croyait-il, son intelligence aussi, peut-être. » (p165) 
Comment ? Son intelligence a-t-elle besoin d’être aiguisée ?

« L’hiver était une nuit qui n’en finissait plus, et les maisons des paquebots qui offraient aux femmes et aux enfants l’illusion qu’ils ne risquaient rien. Marc était reconnaissant aux maisons, à la sienne en particulier, d’apporter à sa famille ce sentiment de sécurité dont il semblait être seul à posséder la conscience, et c’est pourquoi il s’imaginait volontiers en officier de quart. Il aimait faire son tour, s’assurer que le feu ne couvait pas, ici ou là, à cause d’une prise de courant défectueuse ou d’un oreiller tombé sur une lampe, vérifier que les robinets étaient bien fermés … » (p211) 
Emir, commandant de paquebot, protecteur des femmes et enfants, homme mûr et responsable ! Après l’amour, la protection : telles sont les exigences des lectrices !

« – Y a une bougie allumée sur une table et deux bonshommes aussi, qu’est-ce qui font ?
 –  Je ne sais pas.
 –  La bougie.
 –  Quoi, la bougie ?
 –  La bougie fond. » (p215)
 Le contrat devait sans doute dire « 250 ». Il faut tenir ! Alors 2 blagues carambar, ça aide ! Je n’en ai recopié qu’une …

« Hélène avait reconnu en lui un homme de sa culture, un homme issu de cet univers si particulier des familles nombreuses, des enfants non voulus, des enfants dont l’existence est une plaie qui ne cicatrise jamais. « Qu’est-ce que tu voulais qu’on fasse de vous ? On n’allait pas vous mettre à la poubelle, quand même ! » avait rétorqué sa mère à Marc, dans un brusque élan de sincérité. Il était encore adolescent et il s’était dit que son air accablé, son dos voûté, venait probablement de l’embarras qu’il avait causé à ses parents. » (p238 et 239)

Après avoir décortiqué le « Omar », là, je dois reconnaître que j’ai ressenti une émotion sincère. Des ados comme ça, j’en ai vu plein dans ma période prof, j’ai dépensé beaucoup d’énergie à essayer de leur donner confiance en eux et en l’avenir, et la façon dont il en dit quelques mots touche profondément. J’ai déjà oublié tout le reste !

              

Compagnie


Pour éviter de voir mon agent débouler chez moi, je lui avais dit que je me rendais à une course cycliste dans l'après-midi. 

-"Daniel, je t'assure, tu n'as pas besoin d'aller voir des vélos pour voir de la pédale. Tu ne bouges pas de là. J’arrive et je t'emmène manger".

J'avais hésité à l'appeler au départ d'Anne mais il avait fini par le savoir. Tout finit toujours par se savoir dans notre milieu.

Et on ne pouvait rien lui cacher, surtout qu'il était curieux comme une belette. Il jouait les vraies mères avec moi et ses phrases commençaient toujours pas "Tu devrais...", et "Pour toi, le mieux serait de...". 

Je sentais qu'il allait me dire que c'était une aubaine. Que mon oeuvre était ainsi garantie de se poursuivre, dans la douleur mais aussi dans l'écriture. Je crois surtout qu'il me tenait ainsi à distance, tant la jalousie de son compagnon de l'époque était féroce et que cela lui devenait pénible avec tous ses auteurs masculins.

Le jeune homme était publicitaire, tout n'était que slogans entre eux. Il l'appelait même en public "Polo, mon chéri le plus trou". La grande classe.

Cet après-midi là, il arriva sans Tony dans sa décapotable mais je vis à l'arrière qu'il avait un chien avec lui. 

- "T'as le bonjour d'Alfred", dit-il en le faisant venir à moi.

Alfred était un bouledogue malodorant qui avait l'air de suivre notre conversation sans en perdre une miette, bavant même de plaisir.

Nous partîmes du Trocadéro pour Conflans. Paul y avait ses habitudes. Il adorait m'amener à la Taverne à moules, prétendant que c'est précisément dans une assiette qu'il préférait les déguster. 

Nous avions fini de manger lorsqu'il sortit d'une chemise cartonnée un document. C'était l'impression écran qu'il avait fait d'un blog.

-"Point besoin d'être mathématicien pour avoir une inconnue qui vous trotte dans la tête. Ce blog sur toi m'inquiète, je me demande bien qui est cette femme, ce qu'elle te veut."


Je lus brièvement sans y accorder vraiment d'importance. Une allumée me décrivait et faisait lire mes livres à d'autres. Rien à voir avec la lettre. Je ne pensais qu'à elle d'ailleurs. On pouvait tout dire sur moi, tout. Mais la lettre... 

Je tâtais l'intérieur de ma veste à sa recherche pour la caresser comme j'aimais le faire souvent, je ne la sentis plus.

Des sueurs froides me saisirent. Paul s'en rendit compte.

- "Ne t'en fais pas, il y a suffisamment de bons papiers sur toi en ce moment, pour que cette fêlée passe inaperçue".

Alors que je regardais au sol pour voir si la lettre n'était pas là, Alfred se rapprocha de moi pour me renifler la main. Je constatais qu'il mâchouillait ardemment du papier. Je vis le timbre disparaître dans sa gueule tandis qu'il rota bruyamment.

Je décidais finalement de lui caresser la tête. Comme nous étions deux à présent à digérer les mots qu'elle contenait, je me sentais enfin moins seul.

mardi 12 novembre 2013

J'ai enfin fini mon Duroy®


Mes "négresses" ne font pas que lire Lionel Duroy pour moi, elles écrivent aussi.


K. l'aristo à propos de : "Le chagrin"


"Enfin ? J’ai pris mon dernier bain avec Lionel durant ce week-end de commémoration…

Je suis rentrée avec difficultés dans « Le Chagrin », tout d’abord comme mes acolytes « les négresses », il y avait bien longtemps que l’on ne m’avait pas imposé un livre dont j’ignorais tout de l’auteur et de son œuvre. Généralement, on se laisse séduire par quelqu’un qui nous donne son avis sur un livre lors d’une émission littéraire ou lors d’une soirée. 

Mais là non, notre fantasque amie nous demande de l’aider. Mais pourquoi ce choix ? Je m’interroge sur l’attribution de tel ou tel ouvrage. Est-ce le titre qui lui fait penser que ce livre est pour moi ? Est-ce nos discussions sur nos mères ? Est-ce mon âge, proche de celui de l’auteur ? Je la connais fine et futée, donc je me laisse embarquée.

L’ambiguïté de ce livre, roman ? autobiographie ? historique ? me bloque au départ, puis, et là je reconnais la «perversité» d’Or Pâle, les idées politiques familiales tellement éloignées des miennes me donnèrent la nausée. Je fis donc une pause et pris du recul. J’hésitais à me documenter sur qui était l’auteur et continuer le livre en faisant abstraction de qui et comment j’avais été amenée à plonger dans cette lecture.

Là, ce fut différent. J’ai tout d’abord apprécié l’écriture. J’ai aimé replonger dans les époques qui furent aussi les miennes. J’ai adoré la prise de conscience politique, contre vent et marées, de L. Duroy. Ses règlements de comptes familiaux, bien que dérangeants parce que rendus publiques, lui ont-ils permis d’entrer en résilience ? J’en doute hélas. C’eut été une bonne thérapie s’il avait été moins torturé, ou tortueux, dans ses relations amoureuses !!!

Or Pâle et lui ont beaucoup de points communs, dommage qu’ils ne puissent échanger, je ferai le médiateur, j’adorerais cela.

Dans quelques mois, ou années ?, Lionel lira le premier ouvrage d’Or Pâle avant qu’elle ne l’ai lu, mais je ne désespère pas, elle y arrivera peut-être aussi un jour !!!"

lundi 11 novembre 2013

Enjeu

Jouldé avait pour nom de famille Chabrol.

Il avait longtemps fait croire qu'il avait été adopté par le réalisateur. Il disait aussi que son grand-père paternel, pharmacien, l'avait mis sur la voie de la médecine.

Son mensonge ne surprenait plus personne, surtout pas à la Tour de Gassies.

Il y avait orchestré son arrivée à l'aide d'une mise en scène extraordinaire : il s'était fait passé pour hémiplégique et avait intégré une unité de soins intensifs, pour voir comment elle fonctionnait.

C'était à ce prix qu'il avait pu imposer ses nouvelles méthodes thérapeutiques, au corps médical en place.

Equipé de six ordinateurs portables et d'un abonnement à World of Warcraft, il avait monté une guilde nommée "Handicap à l'Ouest" et formée de patients de son étage.

Quelques semaines plus tard, ses cinq compagnons d'infortune ne rechignaient plus à suivre leurs séances de kinésithérapie. Ils abandonnaient même leur déprime pour progresser, tant en jeu que dans la vie réelle.

Récemment, Jouldé avait décidé de montrer sa collection d'avatars à l'aide de photographies exposées dans le hall de son service. A chaque tirage était associé un cliché du patient à qui l'avatar appartenait, mais également ses scores en jeu. Tous ces résultats étaient présentés comme autant de publications scientifiques prestigieuses.

Il ne supportait pas que l'on assimile le handicap à la maladie. Il mouchait quiconque le lançait sur ce terrain. En cela, la Tour de Gassies était devenue son champ de bataille favori.

Devant cette nouvelle provocation, un confrère neurologue l'interpella dans le couloir : 
-"Croyez vous sérieusement que vous guérissez vos malades, Professeur Chabrol ?" 
- "Croyez-vous sérieusement qu'ils le soient ?" répondit-il.

Comme Isabelle arrivait au même moment, elle applaudit Jouldé de ses deux mains. Devant son air ému, elle s'approcha de lui et chuchota à son oreille :
-"Il faut m'excuser mais pour le bras d'honneur, j'ai encore un peu de mal".







mercredi 6 novembre 2013

Ecriture


Anne savait ce que Daniel allait faire maintenant qu'elle l'avait quitté.

Il essaiera d'en faire un roman. Rien d'autre. Il sera de nouveau le couteau et la plaie, de ce qu'il mettra en mots.

Leur histoire sera disséquée pendant de longs mois, jusqu'au sabordement final. Il dira qu'il a fait ça pour survivre à cet  amour, qu'il ne peut pas enterrer, sans rien laisser comme écrits. Il ne se rendra même pas compte, qu'il en creuse la tombe de sa plume.

Il parlera de tout, y compris de sa manière de lui faire l'amour. Comment il aimait la regarder dans les yeux, alors qu'elle lui réclamait d'ôter son foulard de soie, pour les lui bander.

Un jour, il avait demandé à Anne :

-"Pourquoi ne souhaites-tu pas être éditée, toi qui écrit bien mieux que beaucoup d'auteurs que je connais ?"

Elle avait répondu :

-"Parce que je ne veux pas finir comme toi."

Elle avait vu combien les siens avaient souffert de l'acharnement qu'il avait eu à revenir sur le passé, sans montrer le moindre signe de résilience.

Jusqu'à Sacha qu'il avait tenté d'atteindre. 

Elle se rappelait de leur fils anéanti, qu'elle avait dû soutenir, à une place la plus inconfortable qui soit pour une mère.

Mais elle savait surtout qu'elle n'arriverait pas à le convaincre, de ne rien écrire à leur sujet. Elle n'avait pas d'autre choix que d'engager une course contre la montre, en le menaçant de rendre publique, sa version de leur histoire et de la faire paraître avant lui.

Même si elle n'était pas de la partie, Daniel avait suffisamment de détracteurs, qui se feraient un plaisir de l'aider. 

Elle décida d'en parler à Antoine, qui lui dit :
-"Je te suis".

vendredi 1 novembre 2013

T'as pas fini ton Duroy® ?


En hommage aux négresses vertes...

Fallait s'y attendre, mes négresses en voient de toutes les couleurs avec leur Duroy®.

Il faut dire, que j'ai des relations qui n'aiment pas les contraintes :

- "C'est la première fois qu'on m'oblige à lire un livre depuis le lycée, tu ne te rends pas compte."
- "T'as vu le nombre de pages qu'il a ?"
- "J'ai commencé le dernier Bernard-Henri Levy, alors là, ça ne va pas être possible."
- "Je peux plus lire en ce moment. Ma facture d'eau a déjà explosé et comme je lis que dans mon bain..."

C'est pas la mer à boire quand même de finir son Duroy®. 
I. la fleur bleue y est bien parvenue.

Alors, inquiète, j'ai pris des nouvelles du front (fiévreux) de  M. la baroudeuse. Elle pourrait chanter voilà l'été mais non. L'hiver des hommes est là en embuscade. Revenue malade de ses vacances, elle se plaint :

-"J'ai pas beaucoup avancé dans le bouquin. Et puis il fait froid chez les serbes (elle renifle), et ils ont des noms à la noix (elle renifle encore) et ils sont tous en colères, mais vraiment très en colères (elle chope un kleenex®)."

Je m'inquiète et me dis que le massacre de Srebrenica pourrait bien la plonger en arrêt-maladie pour dépression. A moins que ce ne soit le contraire et que la maladie soit un prétexte pour achever son Duroy®, peinarde sous la couette.  Hou ! Mama-Mia !

Puis, je me suis tournée vers K. l'aristo. Elle joue les mères de famille nombreuse, dans le couloir, pendant que le chagrin, de ne pas avoir terminé son Duroy®, ne l'envahit qu'à moitié. 

V. lui a dit qu'à force de Priez pour nous, elles finiraient par me parler, toutes les deux, du même livre, tellement les deux histoires sont proches. A quoi bon !?

De deux choses l'une : soit j'abandonnais mes négresses actuelles, soit j'en recrutais de nouvelles, étendant ainsi la cour Duroy. 

J'ai donc décidé d'accroître ma troupe et de lancer l'un de ces petits bals sans importance : le bal des négresses. 

C'est joli le bal des négresses, vous ne trouvez pas ? J'y vois des pagnes froufroutants, des peaux saupoudrées d'or pâle, des rires flamboyants, face à la mer. La fête du string, quoi !

L'idée du bal n'est pas pour déplaire à  E. la voisine qui a tendance à me trainer sous le soleil de bodega. Elle est déjà d'accord pour dire comme certains : "méfiez-vous des écrivains", car elle m'a vu boire du blanc sec et manger des huîtres. Je la recrute donc.

Pendant ce temps là, M. le matheux, amateur d'Italie et ancien prof, plonge naturellement à la recherche du cahier de Turin. J'espère qu'il y parviendra davantage qu'à chercher, comme toujours, le carré de l'hypoténuse. Mais il n'avait qu'à mieux ranger ses affaires, aussi.

Pour finir, G. la slave nous rejoint pour connaître les mêmes vertiges. Et je trouve ça vraiment chouette d'inviter quelqu'un de l'est, à être totalement à l'ouest. Pas vous ?